Le directeur de la Revue Socialiste

Le directeur de la Revue Socialiste

- Sur le plan doctrinal, Benoît Malon a évolué. Après la Commune, il avait pris parti pour la Fédération Jurassienne, pour Bakounine, contre Marx dont l'autoritarisme était comparé par Léodile Champseix à celui de...Bismarck ! Puis, après les " années italiennes ", il a d'abord adhéré au parti ouvrier de Jules Guesde. Mais il se sent mal à l'aise dans le carcan d'une organisation. Homme de réflexion, il est le contraire d'un sectaire et se sépare de Guesde qui introduit le marxisme en France. Son socialisme est pluraliste, ouvert à toutes les diversités. Il fonde la Revue Socialiste, carrefour d'idées et de tendances, un véritable laboratoire de réflexion et de recherche : dans cette revue publient des socialistes issus de toutes les tendances - souvent très opposées - du socialisme français. Benoît Malon publie aussi très souvent des extraits de ses futurs ouvrages. Mais elle est aussi un lieu de réflexion et une tribune internationale. Des études importantes sont publiées par Benoît Malon sur le socialisme en Hongrie, au Danemark, en Espagne ou en Roumanie. Il donne la parole aux socialistes étrangers. Il préface de nombreux ouvrages dont ceux de Magalhès Lima, ce qui établit et explique son influence dans les pays de langue portugaise (Portugal et Brésil). L'historien Claudio Batalha, professeur à l'Université de Campinas (Brésil) est l'un des spécialistes de l'œuvre de Benoît Malon et a étudié son influence au Brésil.

- Le Forézien Benoît Malon n'avait pas oublié son pays natal : il revenait voir sa mère et son frère Jean, son ancien maître, que ses différents postes d'instituteur avaient conduit à Bonson puis à Sail-sous-Couzan. Le 18 mars 1871, lorsque son ami Paul Martine le rencontre débarquant d'une gare parisienne et éberlué à l'annonce des événements de Montmartre - le début de la Commune -, il revient de voir sa mère dans la Loire. Il restait en relation avec les socialistes stéphanois, présida en 1881 une réunion au cours de laquelle Jules Vallès - l'auteur de la trilogie de l'Enfant, le Bachelier et L'Insurgé - vient faire une conférence sur la Révolution française. En 1882, il préside aussi la séance d'ouverture du Congrès socialiste de Saint-Etienne : congrès de la scission, très animé, puisque les guesdistes quittent finalement le congrès et se réunissent séparément à Roanne.

- Cet attachement à son pays natal, se manifeste aussi chez Benoît Malon par la rédaction de ses mémoires d'enfance (Fragment de Mémoires) qui furent publiées en 1907, quatorze ans après sa mort, dans la Revue Socialiste : extraordinaire document, plein de justesse et de sensibilité, sur l'enfance d'un fils de paysan pauvre. Document exceptionnel, car les fils de journaliers, nés dans la première moitié du XIXe siècle, pauvres et souvent illettrés, ont peu raconté leur enfance. Benoît Malon avait d'ailleurs une véritable vocation d'écrivain ; il a publié des poèmes et des chansons et même écrit un roman historique, Spartacus.

- Benoît Malon évolue : l'homme de parti est devenu un écrivain et le théoricien du Socialisme intégral ; le révolutionnaire ne refuse pas d'étudier les plans de réformes et pense que le socialisme municipal pourrait être l'une des bases, l'un des leviers de la transformation sociale ; l'ancien compagnon de la romancière Léodile Champseix intègre le féminisme et la revendication des droits des femmes dans le programme socialiste. Le philosophe pense de plus en plus en termes de morale et de justice. Il est de ceux qui ont permis au socialisme français de trouver son originalité : Jean Jaurès reconnaissait sa dette vis-à-vis de Benoît Malon : d'abord député opportuniste - nous dirions de centre gauche - Jaurès monta plusieurs fois le petit escalier qui menait au bureau du directeur de la Revue socialiste. La pensée de Benoît Malon l'inspira lorsqu'il fit la synthèse de l'esprit révolutionnaire et de la tradition démocratique des républicains français du XIXe siècle et il le reconnut avec gratitude lors de l'inauguration du monument du Père-Lachaise. Ainsi, comme le note l'historien américain Steven Vincent qui a consacré sa thèse à l'histoire des idées de Benoît Malon, celui-ci est-il de ceux qui ont finalement contribué à intégrer la révolte ouvrière dans la tradition de la République et de la Démocratie.

- Dans l'histoire des idées, Benoît Malon se plaçait aussi dans la perspective historique de la longue durée : il voyait dans l'évolution historique une marche vers les idées de progrès et dans le socialisme l'aboutissement d'une longue évolution des idées de réforme. Sa curiosité était grande et il avait la volonté d'étudier les phénomènes économiques mais aussi leur rapport à la morale sociale.